LE DÉBAT SUR LE FUTUR VISAGE DE PARIS PREND UN TOUR POLITIQUE
Le débat sur le futur visage de Paris prend un tour politique
Si tout le monde s’accorde, pour la révision du plan local d’urbanisme, sur l’urgence de rendre la capitale neutre en carbone ou plus résistante aux étés caniculaires, la densification de la ville reste une question clivante.
Par Emeline Cazi
Lancée en tout début de mandature pour adapter la capitale au dérèglement climatique, la révision très encadrée du plan local d’urbanisme (PLU) de Paris – ce document qui dit les règles de construction et d’aménagement et qui, dans ce cas précis, n’avait pas été revu en profondeur depuis quinze ans – franchit cette semaine une nouvelle étape, et entre dans une séquence plus politique.
Mardi 16 novembre, les conseillers de Paris sont invités à débattre d’une note de quarante-quatre pages reçue au retour des vacances de la Toussaint, dans laquelle la majorité présente sa vision du Paris de demain et la méthode, « un urbanisme bioclimatique », pour y parvenir. Cette note servira de base à la rédaction, d’ici à février 2022, du projet d’aménagement et de développement durable (PADD), qui n’est autre que le texte politique du PLU. Lequel encadrera l’écriture du nouveau règlement, promis pour fin 2023.
Or, si les grandes orientations font pour l’heure consensus – qui, au sein de la majorité, serait contre ce « Paris inclusif et productif, résilient et décarboné, vertueux et préservé » présenté dans cette première version ? –, si tous s’accordent sur l’urgence à rendre la capitale neutre en carbone, plus résistante aux étés caniculaires et aux pluies torrentielles, tout en continuant à répondre aux besoins des habitants, les divergences sur la marche à suivre commencent à se faire entendre.
Dépendance aux transactions immobilières
L’équation n’est pas simple. Il s’agit de loger toujours plus de monde, à des prix abordables, sur un territoire bâti sur sa quasi-totalité – Paris figure parmi les villes les plus denses au monde –, tout en végétalisant et en aérant cette dernière au maximum.
Les débats seront suivis de près. Non seulement l’élaboration de la règle d’urbanisme parisienne inspire souvent de nouveaux textes de loi. Mais ces tiraillements entre la nécessité de construire, les impératifs économiques, et l’urgence à répondre à la crise climatique traversent de nombreuses métropoles.
A Paris, les écologistes et la droite sont clairs : densifier davantage n’est pas tenable. Il faut, au contraire, créer plus d’espaces verts – « un parc d’un hectare par arrondissement », insiste Emile Meunier, élu écologiste et président de la commission urbanisme et logement –, sanctuariser les parcelles non bâties, augmenter la pleine terre et dédensifier. Les bureaux ? « Il n’en faut plus ou alors en portion congrue. »
La droite, par la voix de Valérie Montandon, conseillère du 12e arrondissement, demande aussi la « sanctuarisation des dents creuses », de « la sobriété foncière », et le recours à une « densité raisonnable : pas plus de sept étages ». Les projets de tours à Bercy-Charenton sont, à ses yeux, un non-sens, dans ce contexte de PLU bioclimatique.
Sauf qu’à ne plus vouloir construire en zone dense – même si ces derniers s’en défendent –, il n’est pas possible de répondre aux besoins des Parisiens ni de lutter contre l’étalement urbain, répond Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la maire de Paris, chargé des questions d’urbanisme. « Ça n’est pas crédible non plus sur le plan de la mobilisation des finances publiques », ajoute-t-il ; cette dépendance aux transactions immobilières que dénoncent précisément les écologistes. En l’état, le projet porté par Emmanuel Grégoire repose sur six grands principes, et sur une innovation juridique, laquelle, si elle voit le jour, serait une petite révolution en urbanisme.
« Une place renouvelée pour la nature »
La priorité accordée aux logements sociaux et accessibles à tous, au cœur du PLU de Bertrand Delanoë de 2006, doit être conservée estime la gauche. Surtout dans un contexte où les prix ont grimpé de 91 % en quinze ans, et atteignent désormais 10 680 euros du mètre carré, selon la dernière analyse de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR).
Pour le logement social, la trajectoire est connue. Paris, qui en comptabilise près de 22 %, doit atteindre les 25 % de la loi SRU d’ici à 2025, et 30 % d’ici à 2030 comme se l’est fixé le Conseil de Paris en 2015. Les reliquats de ZAC (zones d’aménagement concerté) aux Mines-Fillettes, dans le 18e, et à Bercy-Charenton, dans le 12e, sont l’une des pistes pour y parvenir.
Cette remise à plat de la règle est l’occasion de consacrer « la ville du quart d’heure » comme principe d’organisation de la vie parisienne. Pour limiter les déplacements, « source de mal-être et de pollution », est-il rappelé aux élus, la capitale doit fonctionner par quartier, avec les écoles au centre. Dans un rayon limité, les habitants devront trouver commerces, terrains de sport, centres de santé, mais aussi un espace de respiration à moins de cinq minutes de chez eux. A droite, Valérie Montandon redoute que « ce concept soit un prétexte à densifier davantage car lorsqu’on crée des logements, il faut les équipements qui vont avec ».
La lutte contre le phénomène d’îlots de chaleur urbains (ICU) passe par « une place renouvelée pour la nature ». Là encore, sur l’intention, tout le monde s’entend. Un peu moins lorsqu’on regarde dans le détail. Le PLU actuel a beau valoriser la pleine terre, cela n’a pas empêché une surdensification de certains quartiers, devenus de véritables fours, relèvent les Verts. Par ailleurs, quelle définition donner à la pleine terre ? Celle avancée par les équipes d’Emmanuel Grégoire – « la terre perméable, végétalisée » – suffit-elle ?
Le devenir du boulevard périphérique divise
La préservation du patrimoine, le recours aux matériaux biosourcés, la réhabilitation plutôt que la démolition, sont autant de principes énoncés ces derniers mois qui doivent trouver une traduction écrite. Certains quartiers bénéficieront d’un traitement particulier : la Seine, les canaux et la Bièvre ; les bois ; les quartiers de renouvellement urbain ou encore le boulevard périphérique.
Le devenir de ce dernier est peut-être l’un des sujets qui divise le plus la majorité. Les écologistes exigent la création d’une ceinture verte. Emmanuel Grégoire pousse pour « un travail de couture » qui consiste à réintroduire des services (logements, terrains de sport, espaces naturels) pour gommer la fracture entre Paris et ses voisins.
Le nouveau PLU se veut plus contraignant que le précédent. Mais au risque de gripper la machine, le règlement ne pourra pas rendre tout obligatoire. D’où le principe d’urbanisme négocié porté par le premier adjoint d’Anne Hidalgo et auquel réfléchissent les directions de la ville avec l’étude notariale Chevreux.
La délivrance du permis de construire serait – et là serait la nouveauté juridique – conditionnée aux services, « les externalités positives » dans le jargon, que le promoteur apporterait au quartier (plantation d’arbres, rénovation thermique du bâtiment, création d’un logement social).
Au sujet des grandes hauteurs, anticipant un très probable débat autour du projet très controversé de la tour Triangle, Emmanuel Grégoire a réaffirmé, début novembre, qu’« il n’est pas question de promouvoir plus de hauteur à Paris » que les sites déjà définis par le précédent PLU : le tribunal de Paris au nord, le quartier des tours Duo et Bercy-Charenton à l’est, la tour Triangle au sud. Cela ne signifie pas que plus aucun gratte-ciel ne sera érigé à Paris. Mais « cela sera au cas par cas, et ces projets devront être portés politiquement ».